ZOOM SUR Alexandre AUVERGNE, metteur en scène - interview
Pourriez-vous en quelques lignes nous parler de votre spectacle ?
LA VAGUE est tiré d’une histoire vraie, l’expérience de Ron Jones, professeur d’histoire au Lycée Cubberley de Palo Alto en Californie. En avril 1967, lors d’un cours sur l’Allemagne nazi, il décide de mettre en place une étude expérimentale en y impliquant ses élèves. L’idée qu’une population puisse commettre un génocide sans aucune réaction, leur paraissaient totalement impossible. Il décide alors de leur montrer comment des dictateurs comme Hitler s’y sont pris en créant un mouvement intitulé « La Troisième vague », dont l’idéologie vente les mérites d’une communauté. L’objectif étant d’alerter les élèves sur le conditionnement de masse, tout en leur faisant vivre une expérience au sein d’un groupe totalitaire. Cependant, plus l’expérience avance au fil des jours et plus la classe se plaît à faire partie d’une communauté. Les élèves et le professeur portent désormais un uniforme commun, se saluent d’un geste distinctif et de là, naissent des slogans inquiétants. Quiconque s’oppose aux règles choisies se voit immédiatement exclu de l’expérience et de la communauté. Ron Jones avouera plus tard s’être fait prendre à son propre jeu et confiera avoir ressenti un certain plaisir à être le leader du groupe d’étudiants. La pièce LA VAGUE s’inspire de ces faits et du roman THE WAVE, écrit par Todd Strasser, ainsi que de différents téléfilms inspirés de cette expérience psychologique. Ron Jones a pris contact avec nous en envoyant un colis au collectif contenant notamment la captation originale de son œuvre ainsi qu’une lettre de félicitation pour notre clip de rap sur La Vague et pour notre pièce, dont il a entendu les éloges jusqu’à New-York.
Quelles sont les thématiques sous-jacentes abordées dans LA VAGUE ?
Au-delà du conditionnement de masse et des régimes autocratiques, nous abordons par ricochet les violences générées par l’effet de groupe, l’ostracisme et par conséquent le harcèlement en milieu scolaire.
Pourquoi avoir choisi de créer ce spectacle ? Comment en avez-vous eu l’idée ?
C’est en cours d’histoire au lycée que je découvre le film « La Vague », réalisé par Dennis Gansel. Ce jour-là, je prends la plus grosse claque de mon parcours scolaire. Je décide plus tard de me renseigner sur l’expérience de Ron Jones qui a inspiré le roman de Todd Strasser dont s’est servi Dennis Gansel pour son film et d’en réaliser en collaboration avec Prune Bonan une adaptation théâtrale. J’ai voulu monter ma propre Vague et l’adapter à la population résidente en France, contrairement au film où l’action se passe en Allemagne. L’objectif étant que le spectacle puisse éveiller les esprits sur les dérives autocratiques actuelles. Le nazisme a beau avoir été vaincu en 1945, le monde contemporain montre qu’il peut ressurgir à tout moment. A travers cette oeuvre, nous souhaitions aussi montrer à la nouvelle génération qu’elle peut réfléchir par elle-même et avoir des idées ou des positionnements minoritaires sans automatiquement suivre une figure d’autorité.
Avez-vous déjà joué devant des élèves ? Comment ont-ils réagi ?
Nous avons joué plusieurs fois devant des élèves de collège ou de lycée et l’expérience a toujours été magique. Généralement les élèves arrivent dans la salle la tête baissée, en croyant qu’ils vont s’endormir et ressortent avec un sourire et un message fort en tête. Ils en ressortent choqués, surpris, changés…
Alors que bien souvent ils viennent pour la première fois au théâtre, ils rentrent facilement dans l’histoire car ils s’identifient à tel ou tel personnage mais aussi parce que la langue utilisée sur le plateau est celle qu’ils pratiquent au quotidien. Tout leur semble familier, c’est ce qui leur donne envie d’écouter et de vivre cette expérience à 100%. Souvent, cela leur donne aussi envie de s’adonner à ce métier.
Votre œuvre fait-elle également écho à la dynamique de harcèlement en milieu scolaire ?
Elle fait effectivement écho au harcèlement scolaire dans le sens où elle propose un focus sur les effets pervers du groupe. Elle nous éclaire sur comment se mettent en place les discriminations envers les personnes qui pensent différemment de la majorité.
Mais parce rien n’est tout noir ou tout blanc, la pièce montre aussi les bienfaits du groupe où comment chacun peut trouver une place et une fonction dans un groupe ordonné, même chez les personnes qui peinent à relationner et qui se font malmener.
Pourriez-vous nous parler de la forme du spectacle ?
Notre adaptation est un mélange de plusieurs expressions artistiques (théâtre, danse, rap, chanson, vidéo, dessin). Elle propose aussi ponctuellement une interactivité avec le public. Cela permet aux spectateurs de plonger progressivement dans la mise en place d’une communauté autocratique en étant les élèves de cette classe puis en observant ou en subissant les diverses techniques de manipulation d’une population pourtant consciente de l’Histoire.
Votre collectif est singulier. Pourriez-vous nous dire comment il s’est formé et ce qu’il apporte aux différents projets que vous menez ?
Nous sommes un jeune collectif de 20 comédiens(ne)s sortant pour la plupart d’écoles nationales de théâtre. J’ai pris la décision de rassembler une équipe constituée d’amis mais avant tout de rencontres artistiques durant ma période de formation. LA VAGUE est notre premier spectacle, qui a vu le jour il y a maintenant 3 ans. Depuis on avance et on grandit tous ensemble. La pièce évolue continuellement grâce aux idées de chacun. L’écriture de plateau à base d’improvisations et le mélange des expressions artistiques nous a permis de créer notre propre Vague, proposant une vision plus actuelle et universelle.
Il est rare de voir 12 personnes au plateau aujourd’hui, pour des raisons principalement économiques. Pourquoi ce choix ?
J’ai fait le choix de réunir 12 personnes au plateau car il était pour moi impossible de montrer une dynamique de groupe et une effervescence envers un sujet sans troupe, sans plusieurs énergies sur le plateau. Ce spectacle parle principalement (avec la dictature) de la constitution et du fonctionnement du groupe en société. Pour parler du groupe j’avais besoin de le vivre et de le faire vivre au public.
Comment s’est déroulé le travail avec cette équipe très large et plurielle ?
Le travail a démarré il y a maintenant 4 ans. J’ai coadapté la pièce avec mon amie et artiste Prune Bonan et ai réfléchi à la façon dont on pouvait faire vivre cette expérience à un public sans non plus les déranger ou les gêner. Nous avons écrit notre pièce LA VAGUE par rapport au film, au livre de Todd Strasser, à base d’improvisation sur l’expérience de Milgram et de commandes faites aux comédien•nes. Nous avons créé ce spectacle dehors, dans des salles de répétition d’école ou dans des lieux non destinés à la représentation théâtrale. Ce travail est le résultat d’un groupe qui s’est réellement rencontré humainement et artistiquement.
Quels projets font suite à LA VAGUE ? Pourriez-vous nous en parler ?
En 2022, le collectif DMT-12 a été finaliste du prix jeune metteur.ses.s en scène avec la pièce « ADN » de Dennis Kelly que j’ai eu la joie de mettre en scène. Cette pièce sera diffusée dès la saison prochaine. Nous jouerons également sur Paris « Fracassés » de Kae Tempest mis en scène par Basile Sommermeyer.
Alexandre AUVERGNE
Alexandre Auvergne a grandi à Quimper en passant par le centre de formation de basket de l’UJAP. Dès sa majorité il part découvrir le monde pendant 5 années en tant qu’animateur dans les clubs de vacances. Sur le bord d’une plage, une rencontre humaine le fait s’intéresser au monde du théâtre. Curieux, il arrête les voyages et s’inscrit au Cours Florent. C’est à l’issue de ces 3 années de cursus qu’il rentre au Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique de Paris. Au théâtre il interprète Shakespeare, Molière, Tankred Dorst, Kae Tempest, Tchekov, Lagarce… Il crée en parallèle le Collectif DMT-12. Il met e scène, coadapte et joue dans La Vague, qui est présentée à l’édition 2021 du Festival d’Avignon et qui est depuis en tournée. Puis il met en scène et joue dans ADN de Dennis Kelly, pièce pour laquelle il est finaliste du prix du jeune metteur en scène au Théâtre 13 en 2022. Il joue Polonius dans Hamlet(te) d’après Shakespeare de Clémence Coullon. Il tourne dans plusieurs courts-métrages dont » À nos fantômes » de Pierre Giafferi et dans plusieurs longs métrages comme celui de Baptiste Debraux » Moi vivant, vous ne serez jamais mort » ou encore celui de Alix Delaporte » Vivants « , qui font leur sorties au cinéma en 2023. Il est Talent Adami Cinéma 2023.